Un volontariat qui fait grandir le cœur ! 

Publié le 14 octobre 2024

Anne est bénévole depuis deux ans à PalliaLiège. Nous l’avons rencontrée pour lui parler de son engagement, de ses motivations et de ce qui l’anime à accompagner les personnes en fin de vie. 

Bonjour Anne, un tout grand merci de répondre à nos questions ! Peux-tu nous expliquer comment tu es devenue volontaire en soins palliatifs ? 
L’esprit volontaire, je l’avais déjà mais dans d’autres domaines. J’ai fait du volontariat à la bibliothèque par exemple, donc des choses beaucoup plus « soft » que ce que je fais aujourd’hui. Le gros bouleversement est arrivé avec ma jeune cousine qui est décédée suite à un cancer dans un service de soins palliatifs à Gand. Cet accompagnement m’a chamboulée par la tristesse mais aussi en voyant que je pouvais lui apporter quelque chose de positif par ma présence et mon écoute.
Quand elle est décédée, je me suis demandée ce que je pourrais faire et j’ai trouvé la plateforme de soins palliatifs de Liège, PalliaLiège. Je me suis dit « pourquoi pas ? ». 

Peux-tu nous dire quelques mots sur de ton expérience en tant que bénévole à domicile ?
J’ai commencé comme mes autres collègues, en maison de repos, aux « Genêts » et j’ai pensé que je préférerais vivre ces expériences à domicile. J’avais eu des échos d’autres bénévoles et je me suis dit que ça devrait mieux me correspondre. 

Est-ce que cela te correspond maintenant que tu as un peu de recul et d’expérience ? Oui, vraiment. Je me suis sentie au bon endroit, au bon moment. Le sentiment de dire « c’est là que je dois être » et donc c’est pour ça que j’ai envie de continuer à me former, pour accompagner au mieux les personnes à qui je rends visite.

Tu dis que tu te sens au bon endroit quand tu rends visite aux personnes dans
leur domicile, comment se manifeste cette sensation ? 

C’est très varié, mais le sentiment général est la gratitude. Cela me nourrit complètement qu’ils se confient à moi et dans l’autre sens aussi : ça leur fait plaisir, ils se sentent mieux et en général, les gens que je quitte ont le sourire alors que quand j’arrive, ils sont plus fermés.

Qu’est-ce que tu es amenée à faire quand tu rends visite à des patients qui
sont en soins palliatif à domicile ? 

Lors de ma première expérience, on m’a appelé pour une famille dont le monsieur a
Alzheimer et Parkinson et qui vit avec son épouse.  On s’est vite rendu compte que le monsieur est en situation où il est encore mobile, il peut encore bouger, il a encore de la volonté, mais il ne comprend pas ce qu’on lui dit, ni pourquoi on lui dit quelque chose. Donc c’est un monsieur qui va vouloir se lever, qui qui risque de tomber. Face à ce cas de figure, je me suis sentie impuissante. S’il était « cloué au lit », je pourrais éventuellement parler avec lui, même si la communication est difficile. Alors, je suis restée avec l’épouse qui était très déprimée, très fatiguée et finalement, on s’est mis d’accord pour que j’aille chez eux quand elle veut aller dans son jardin. Elle va donc dans son jardin, moi je suis là. Si monsieur veut bouger, j’appelle madame. Nous avons eu un très bon contact, une bonne relation. Un jour, je suis allée faire à manger chez eux, une spécialité italienne. Ils étaient tous contents, le monsieur a mangé avec nous. C’est donc vraiment sympa. En fait, on prend ce qui vient. Si ce n’est pas possible d’envisager l’accompagnement en s’asseyant près de la personne, en l’écoutant, on peut être présente dans la famille à certains moments, pour changer l’état d’esprit de la personne ou de son entourage et parler d’autre chose que de la maladie et de tout ce qu’on doit mettre en place autour. Ça c’est le rôle de l’infirmière de Delta (l’équipe de soutien en soins palliatifs à domicile). Je n’ai pas de formation médicale, je suis plutôt là comme une amie qui rend visite, avec qui on peut parler de la fin de vie sans tabou. 

Tu t’adaptes aux demandes, aux besoins… il n’y a pas un rythme à respecter dans les visites ? C’est en fonction des personnes ? De toi ? C’est assez libre ? 
C’est assez fluide. Pendant la première année, j’ai accompagné l’équipe qui va dans la maison de repos « les Genêts », tous les mardis après-midi. Puis, quand j’ai commencé à être appelée par Delta, c’était à d’autres moments donc je continuais mes 2/3 heures le mardi et je faisais des visites en soirée suivant la demande. Depuis quelques mois, j’ai diminué mon temps de travail (je suis dans ma dernière
ligne droite professionnelle), je peux maintenant travailler 3 jours et demi par semaine donc je consacre le vendredi après-midi au volontariat. Mais, si quelqu’un veut me voir un autre jour, je m’adapte. Avec le télétravail, je peux facilement modifier mes horaires. C’est un plus ! Sinon, mon expérience avec un grand « E », c’est avec une personne que j’ai vraiment accompagnée de A à Z. Je l’ai rencontrée 2 ou 3 semaines après l’annonce de son cancer de stade 4 et je l’ai accompagnée jusqu’au bout, ça a duré 3 mois et demi. J’allais tous les mardis chez cette dame et j’y suis déjà restée 4 heures. C’était vraiment intense, une relation très spéciale s’est créée très vite et de façon complètement inattendue. Nous avons commencé à parler lecture, nous avons échangé des livres. Comme elle habitait dans la ville où j’ai grandi, quand elle m’a raconté sa vie je pouvais m’accrocher à des choses que j’avais vécu, des endroits que je connaissais, des personnes que j’avais fréquentées. Avec elle, il y avait une tradition : le câlin du départ. Un truc de fou ! On se prenait dans les bras, le cœur prêt à exploser. Je le sentais, elle aussi. Et puis, elle est partie. Je suis restée en contact avec son fils et sa fille qui ont une cinquantaine d’années tous les deux et qui vivaient avec elle. On s’est appelé quelques fois. Ils étaient contents. Un jour, sa fille m’a dit que j’étais un peu l’amie que sa maman n’a pas eue et cette amitié s’est vraiment créée très très vite. On savait qu’on n’avait pas le temps, on a tout de suite eu des atomes crochus. Elle a donc eu une amie à qui elle pouvait raconter n’importe quoi, même ses petites blagues grivoises. 

Tu parles d’une expérience magnifique, est-ce que tu as vécu de moins bonnes expériences ?
J’ai une expérience qui a été très courte mais où j’ai senti dès le départ que ça allait être moins facile parce qu’idéologiquement, le monsieur était à l’opposé de moi. Je suis prête à accepter les différences mais je ne suis pas rentrée de la même manière dans cette relation qu’avec quelqu’un qui partage mes valeurs. Mais je ne me suis pas dit « non, je n’y vais pas ». Je me suis dit « je suis clairement avec quelqu’un avec qui j’ai peu de points communs mais ça ne m’a pas empêché de l’écouter et de partager des moments agréables ». Au-delà des valeurs qui vous réunissent, vous êtes aussi dans un partenariat,
un échange humain qui dépasse sans doute certaines valeurs individuelles ? Oui, c’est ça. On ne doit pas discuter de ses valeurs. Finalement, il peut me parler de ce qu’il veut, il ne me demande pas d’adhérer à ce qu’il pense. Mes valeurs ne sont pas meilleures que les siennes. 

Est-ce que toutes les personnes que tu accompagnes abordent la question de la mort et de leur propre mort ? 
Non et je pense que c’est un constat général, ça leur fait du bien de parler d’autre chose : ne pas parler du lieu de vie dans lequel ils sont, qui est bien souvent médicalisé, ne pas forcément parler de la maladie même si ça vient à un certain moment. Ils savent qu’ils peuvent m’en parler. Avec la dame dont j’étais vraiment très proche, la fille était très affectée par le fait que, le soir, sa maman relâchait toutes ses barrières et partageait beaucoup d’angoisses, de détresse avec elle quand elle l’accompagnait pour la mettre au lit. Pour la fille, c’était intenable. Un jour où l’infirmière de Delta était en visite juste avant moi, elles ont parlé de cette difficulté. Lorsque je suis arrivée, l’infirmière de Delta a dit « vous pouvez en parler
avec Anne qui est tout à fait formée pour vous accompagner ». Je lui ai tendu quelques perches mais j’ai vu qu’elle n’avait pas du tout envie d’aborder le sujet. Elle n’avait pas envie de parler de ça avec moi, elle avait envie de raconter des petites anecdotes, avoir un moment pour respirer et de ne pas être dans le « je vais mourir, qu’est-ce que je dois faire, j’ai peur/j’ai pas peur ». 

Tu dis que tu es formée, ça veut dire que tu as suivi une formation à PalliaLiège ? 
Je suis en cours de formation. J’ai commencé par la formation à l’écoute organisée par la Province. Ensuite, j’ai suivi toutes les formations possibles. Il y a de petites formations données par PalliaLiège, mais aussi des conférences et des lectures. C’est également mon expérience personnelle, mon âge et les personnes que j’ai vu mourir (entre autres mon papa), qui ont provoqué mon examen de conscience et tout vient de là. Quand mon papa est décédé, j’avais 27 ans, un bébé à la maison et mon papa à l’hôpital. Quand mon papa me disait « ma petite fille, je crois que ça ne va pas aller », je lui disais « mais si, papa, ça va aller, ça va aller ! » et je ne le laissais pas me parler de ses craintes. J’ai toujours regretté cela. Maintenant je peux dire « non, ça ne va pas aller, dites-moi ce qui vous fait peur, dites-moi ce que vous
voudriez… ». J’aurais voulu parler comme ça à mon père, mais j’avais tellement peur, je ne savais dire que ça mais voilà, je ne culpabilise pas, j’ai fait avec ce que j’avais.  En fait, je me fie à mon cœur. Je ne suis pas une professionnelle. J’ai l’expérience de fille, de maman, de ce que j’ai vécu autour de moi. 

Tu l’as dit, vous ne parlez pas toujours de la mort, mais cela peut arriver. Comment est-ce que tu vis les émotions des personnes qui sont face à toi et peuvent te faire ressentir des émotions ?

Je vais toujours parler avec des exemples, c’est plus facile pour moi. Je visite actuellement une dame qui est extrêmement en colère, à la limite désagréable et d’ailleurs, beaucoup de personnes ne l’écoutent plus et s’éloignent d’elle. Je trouve ça tellement injuste ! Cette personne a un passé très noir et a vécu mille vies. Je comprends qu’elle soit en colère contre tout et parle de façon fort agressive. Moi, je me dis que ça va, je me dis que si elle a envie de crier sur moi, elle pourrait, et finalement elle est assez calme avec moi. Comme ce n’est pas ma famille, j’arrive à prendre de la distance et la communication peut rester sereine.

Et par rapport à la tristesse et la peur ? Comment cela t’affecte ? 
Pour le moment, je n’ai pas eu le cas où je n’arrive pas à garder la distance. La colère de cette dame dont je viens de parler s’est adoucie et c’est vrai que maintenant elle pleure beaucoup. Mais je pense qu’il faut que ça sorte. Je ne dis pas « ne pleure pas, ça va aller » parce que non, ça ne va pas aller. Quand elle dit qu’elle a peur, ça lui fait du bien de le dire, c’est normal d’avoir peur. Les gens que j’ai rencontrés jusqu’à présent sont fort pudiques par rapport à leurs peurs. C’est difficile de les faire parler de leurs craintes. Je n’aime pas trop les questionner mais j’ouvre la porte et s’ils abordent le sujet, je les encourage à parler.
Le plus important pour moi, c’est qu’ils puissent me parler de tout. 

Est-ce que tu peux parler un peu plus de l’accompagnement de PalliaLiège. Tu as dit qu’il y avait des formations, il y a aussi un groupe de parole. Qu’est-ce que ce groupe t’apporte ? 
Si je repars de l’expérience avec la personne qui est toujours très en colère, on a pu en parler dans le groupe de parole, partager et avoir la trame de ce qu’on pourrait essayer de faire pour cette dame, pour l’aider. On s’est questionné : comment, en tant que bénévoles, peut-on l’aider pour qu’elle soit encadrée par des gens qui la voit comme une personne qui va mourir, qu’on arrête de lui faire subir des examens
inutiles, de la transporter à droite et à gauche et qu’elle reçoive des soins de conforts
dont elle est demandeuse. 

Donc, si je comprends bien, grâce à ton expérience de terrain, tu peux faire remonter cette expérience dans un groupe, en discuter et améliorer la prise en charge ? 
Oui et poser les questions que je me suis posées. Je les confronte aux autres pour voir comment ils auraient réagi et entendre les expériences des autres personnes, c’est enrichissant. 

Tu as évoqué quelques fois Delta, j’entends qu’ils te contactent quand ils pensent que ta présence est bénéfique à un endroit, est-ce que tu as des liens avec Delta en retour ? Est-ce que tu communiques avec eux au sujet de l’état de santé de la personne que tu visites ?
Je communique avec l’infirmière qui me contacte parce qu’elle s’occupe du même secteur que moi. Le feeling est très bien passé avec elle. Il n’y a rien d’officiel mais je le fais. Surtout au début et s’il y a un changement de l’état de santé de la personne, si la personne est moins bien, je lui envoie des messages. Elle aussi voit la personne à d’autres moments que moi et elle m’informe de l’évolution de son état
de santé et de moral, si des dispositions spéciales sont prises. 

Comment vis-tu le décès des personnes que tu as accompagnées ?
J’y pense mais ça ne m’affecte pas vraiment comme un deuil familial. C’est quelque chose qui ne va pas m’empêcher d’avancer… Suite à cette expérience très forte, je me rends compte que même si je pense souvent à elle, cela ne m’empêche de vouloir continuer dans ce domaine. En plus, tout s’est bien passé quelque part. Je me dis des choses classiques, comme « elle est mieux là où elle est, où qu’elle
soit ». Je regarde la photo de ma cousine et ça me donne de la force. Je me rends compte que ce sujet de la mort et un sujet qui m’a toujours habité et que le fait d’en parler me rassure, ça ne me fait pas trop peur et si je dois mourir demain, je me dirai « ok ». Ce n’est pas un truc qui me terrorise même si peut-être à la fin, je changerai d’avis. Je ressens que pour les gens qui ont beaucoup souffert, c’est un soulagement. Pour le moment, je n’ai pas vu (et je ne suis pas prête) de jeunes, seulement des personnes âgées. 

Est-ce que donner du temps et offrir une écoute aux personnes que tu visites te fatigue ou au contraire te nourrit ? 
Je travaille dans une société financière, donc c’est rendement, profit, etc. L’humain n’est pas vraiment au centre des activités et cela ne me suffit plus. Le bénévolat, c’est une façon de faire quelque chose d’utile pour les gens. Ces quelques heures par semaine, ça me donne le contact avec l’humain avec un grand
H. Ce sont des personnes extraordinaires. Ce n’est pas comme quand on parle avec sa voisine sur le seuil de sa porte. Ce sont des personnes qui vivent des choses très fortes donc cette intensité d’émotions m’apporte énormément. Cela me touche et m’enrichit. La première fois, il m’a fallu du temps pour m’en remettre. J’ai vraiment ressenti physiquement que mon cœur s’agrandissait. Je ne sais pas si je ferai ça tout le temps mais pour l’instant, j’y suis bien et le retour des gens me fait penser que je sers à quelque chose d’humain.